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Les journées rencontres
de l'association
"EXPERIENCES GUSTATIVES"
PARIS le 23 mars 2019
A la suite d’une information de tous les membres AFAA, six anosmiques et un hyposmique sévère se sont réunis le 23 Mars 2019 pour échanger sur leurs problèmes d’alimentation.
[ Annabelle G., Nathalie M., Françoise K., Bernard PERROUD, Président AFAA, (tous anosmiques suite à un trauma crânien occipital ou temporal), Chantal D. (anosmie suite à une attaque virale), Francis V. (anosmie suite à un traitement médicamenteux) et Michel L. (hyposmie sévère suite à une chirurgie endo-nasale). La durée du trouble variait de 2 ans à 21 ans selon les participants.]
Deux observateurs normosmiques étaient également présents : Didier TROTIER (CNRS, conseiller scientifique spécialiste de l’odorat et de ses pathologies, secrétaire de la réunion et rédacteur de ce CR) et Nathalie LEMAÎTRE (aromathérapeute, sexologue et psychologue).
Cette réunion a été organisée par Michel L. (assisté par Francis V. et Chantal D.) qui a obtenu le prêt gracieux de la salle de réunion et a défini les thématiques de la réunion.
La réunion s’est déroulée en plusieurs étapes. Tout d’abord un Bingo du Nez durant lequel chaque membre s’est brièvement entretenu individuellement avec chacun des autres afin de pouvoir remplir une grille de « qui est qui ». Cette étape, très conviviale, a permis de casser la glace et favoriser les échanges.
Dans une seconde étape, chaque participant a exposé en quelques minutes les circonstances de la survenue de sa perte de l’odorat, les problèmes liés à son alimentation et, pour certains, les stratégies personnelles mises en œuvre pour essayer surmonter le handicap et trouver un intérêt nouveau aux aliments en dépit de l’absence d’olfaction rétro-nasale.
Chaque participant ayant apporté un certain nombre d’aliments qui leur semblaient particulièrement intéressants à faire connaître aux autres, ces victuailles ont été partagées dans lors d’un déjeuner en commun très animé et très convivial.
La réunion s’est ensuite poursuivie par quelques commentaires des observateurs Nathalie et Didier et par l’appréciation globale de l’intérêt de ce genre de réunion, ainsi que des améliorations possibles.
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Pour l’observateur extérieur cette réunion a été très surprenante à beaucoup d’égards. Au cours du tour de table, chacun s’est exprimé avec beaucoup de précision. La part affective liée au manque d’odorat était très palpable mais, pour la grande majorité des participants, le discours était très positif. A aucun moment ces échanges n’ont donné lieu à une litanie du Bureau des Pleurs, ce que quelques participants craignaient avant la réunion.
Apparemment, tous étaient bien conscients des limites actuelles du monde médical pour résoudre leur problème et améliorer leur situation. Mais tous étaient également conscients qu’échanger sur leurs expériences individuelles était indispensable pour aller plus loin.
⚠️ Remarques : La perte de l’odorat ne permet plus de percevoir la part olfactive de l’information sensorielle lorsque l’aliment est en bouche. Physiologiquement, les molécules odorantes présentes dans la bouche remontent vers les cavités nasales par deux larges ouvertures, les choanes, et viennent activer les récepteurs olfactifs. Cette olfaction, dite rétro-nasale, représente, chez les normosmiques, une part essentielle de l’intérêt sensoriel lors de l’alimentation. Elle est complétée par les sensations gustatives venant de la langue (saveurs sucrées, salées, acides, amères, umami) et par de nombreuses autres sensations (chaud, froid, piquant, croustillant, moelleux, astringent, granuleux, etc) provenant de l’activation du nerf trigéminal.
L’ensemble de toutes ces sensations (olfactives, trigéminales et gustatives) sont intégrées par le cerveau dans la notion de « Goût ». L’anosmie est donc souvent vécue comme une perte du « Goût » mais cela ne doit être considéré comme une agueusie (qui correspondrait à l’absence de sensations gustatives). Chez les anosmiques, l’odorat est absent mais les sensations gustatives et trigéminales sont toujours opérationnelles. Encore faut-t-il apprendre à valoriser ces informations pour retrouver de l’attrait, voire du plaisir, lors de l’alimentation.
Il est très intéressant de constater que beaucoup de participants font déjà spontanément ce travail de « compensation ». Beaucoup prêtent infiniment plus d’attention à ce qui ce passe dans la bouche. L’attrait pour les sensations sucrées est souvent fort. L’appréciation des différences de texture semble aussi très forte. Les différentes amertumes (par exemple dans les chocolats à forte teneur en cacao) sont aussi attrayantes.
Pour certains, la surconsommation initiale de sel (un renforçateur du « Goût ») baisse notablement avec le temps.
Bien sûr les réactivités individuelles sont variables.
Pour une personne, qui a fortement impressionné l’audience par son énergie positive, la perte de l’odorat n’a pas trop impacté son mode de vie ni son moral; elle continue à manger ce qu’elle aimait avant son trauma et utilise beaucoup ses souvenirs. Elle mange plus sucré qu’auparavant et suit actuellement une formation en pâtisserie en raison de la grande diversité sensorielle possible des gâteaux. Elle est particulièrement sensible aux aspects de la texture. Elle trouve difficile de découvrir des aliments nouveaux, mais n’hésite pas à fréquenter de grands restaurants… pour voir.
Une autre personne explique sa lente évolution depuis une totale absence d’intérêt pour la nourriture et un régime quasi mono-alimentaire vers une situation actuelle où elle prend beaucoup plus conscience de la richesse des sensations gustatives et trigéminales qui lui permettent de se forger une nouvelle grille d’analyse des aliments.
Une autre dit qu’au début elle mangeait n’importe quoi mais que maintenant elle aime le sucré (par son aspect rassurant) et joue avec les saveurs salées, amères et piquantes.
Une autre se plaint d’une absence d’appétence pour la nourriture mais retrouve de l’intérêt en jouant sur la présentation et la focalisation de son attention sur la texture, le sucré et l’acide (par exemple pour les tomates) ; elle a diminué grandement l’ajout de sel car cette saveur avait un effet masquant trop prononcé sur les autres informations sensorielles.
Notons cependant qu’une participante, encore très en « colère », a beaucoup de difficultés pour être dans une attitude positive ; d’autant plus qu’elle est perturbée par des sensations olfactives spécifiques occasionnelles (punch coco ou ouzo grec) sans qu’elle puisse comprendre pourquoi.
Au cours du tour de table final, tous les participants ont montré une grande satisfaction pour cette journée d’échange. La possibilité de parler ensemble du handicap est très importante. Partager les expériences « compensatrices » de chacun peut permettre à d’autres de prendre conscience de nouvelles stratégies d’adaptation au malheur qui les frappe.
Le fait d’avoir « dégusté » ensemble différents aliments choisis par les participants a été très bien perçu par la grande majorité. Curiosité, quelquefois scepticisme (ah ! les chipirons de Bernard dans leur sauce d’encre noire… une drôle d’expérience pour certains !), bon entrain collectif et plaisir de partager en commun ont été les points forts de cette expérience.
Un observateur extérieur d’un film de ce repas serait bien incapable de penser que les convives n’avaient pas d’odorat !
Pour l’avenir, il est clair que ce type de rencontre devrait être renouvelé à un échelon national. Une réunion informelle est déjà programmée pour le 18 Mai sur Paris entre certains participants.
Il serait intéressant de faire participer les accompagnants pour qu’ils prennent mieux conscience de tous les aspects abordés. Il serait utile aussi de faire intervenir des cuisiniers pour développer des recettes pour les anosmiques. Bien sûr une meilleure prise en charge médicale et l’augmentation des efforts de la recherche pour tenter de trouver des solutions seraient essentiels, mais cela, c’est une autre histoire !