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Le coin des connaissances :

Avec l'aimable participation du
 
Dr Didier TROTIER
Neurophysiologiste de l'Odorat

 

UMR 9197, CNRS, Gif-sur-Yvette

1 - Les raisons d’une anosmie

Les raisons d’une anosmie

 

 

La perte de l’odorat laisse les personnes concernées bien démunies. Aux problèmes de la vie de tous les jours s’ajoute souvent une difficulté à comprendre ce qui est arrivé. L’information fournie par le médecin n’est pas toujours comprise. Or une bonne compréhension nous paraît indispensable pour gérer plus efficacement le handicap.

 

L’idée de ce COIN DES CONNAISSANCES, dans le cadre du site de l’AFAA, est venue de ma rencontre avec Bernard Perroud. Chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) je travaille depuis une trentaine d’année sur des programmes visant à mieux comprendre la physiologie de l’odorat. En parallèle, j’aide le Docteur Corinne Eloit à développer des méthodes permettant de mieux établir les diagnostics des troubles de l’odorat dans le service ORL de l’Hôpital Lariboisière. A cette occasion j’ai donc côtoyé un grand nombre d’anosmiques, et j’ai pu prendre conscience non seulement de leur désarroi mais aussi de leur difficulté à bien comprendre les raisons du handicap. Les causes d’anosmie sont en effet nombreuses mais ont toutes pour origine un défaut de fonctionnement physiologique à l’un des niveaux de la chaîne sensorielle.

 

Le but de ce COIN DES CONNAISSANCES est donc de fournir des informations de base en suivant un fil logique assez simple et en montrant quelques exemples. Nous espérons notre propos assez clair pour des non spécialistes. Comprendre nécessite cependant de faire un petit effort...

 

Physiologie normale de l’odorat

 

Avant d’aborder les défauts de fonctionnement du système olfactif, voyons comment fonctionne un odorat normal. L’odorat est un sens subtil et sensible permettant de percevoir et de distinguer des milliers d’odeurs différentes.

 

Les molécules odorantes sont constituées d’atomes (carbone, hydrogène, oxygène et autres) se présentant comme des formes dans l’espace (Figure 1). De très petite taille (de l’ordre d’un millionième de millimètre), elles présentent toutes la particularité de s’échapper du substrat qui les contient pour se retrouver dans l’air et atteindre notre nez.

En pénétrant dans les cavités nasales les molécules odorantes atteignent un endroit où est localisé un épithélium contenant des cellules détectrices dont les cils baignent dans une petite couche de mucus (Figure 2).

 

En diffusant dans ce mucus, les molécules odorantes (pures ou en mélange) se fixent transitoirement sur des protéines réceptrices localisées sur ces cils. Chaque protéine réceptrice est capable de reconnaître un motif de stimulation particulier, qui peut être présent dans diverses molécules odorantes. Il existe, chez l’homme 350-400 protéines réceptrices différentes, c'est-à-dire autant de façon de « voir » les molécules odorantes.

 

Lorsque qu’une protéine réceptrice reconnaît son motif de stimulation personnel, la cellule détectrice émet des impulsions nerveuses. Ces impulsions se propagent dans l’axone de la cellule qui traverse l’os (la lame criblée) séparant la cavité nasale de la boîte crânienne et transmet le signal à une cellule mitrale dans le bulbe olfactif au niveau d’une zone de contact nommée glomérule (voir Figure 2). Toutes les cellules sœurs, qui possèdent la même protéine réceptrice, transmettent l’information au même glomérule. Un autre ensemble de cellules détectrices, possédant une autre protéine réceptrice pour détecter un autre motif de stimulation transmet l’information à un autre glomérule au niveau du bulbe olfactif. Et ainsi de suite pour tous les motifs de stimulation présents. Il se dessine donc au niveau du bulbe olfactif une image d’activation sur l’ensemble de toutes les cellules mitrales.

Une représentation schématique est montrée Figure 3. Chaque molécule odorante présente plusieurs motifs de stimulation et forme donc une image d’activation bulbaire particulière. Dans le cas d’un mélange de molécules odorantes, c’est l’ensemble de tous les motifs de stimulation présents qui forme l’image au niveau du bulbe.

Le bulbe olfactif est donc un organe capable de transformer l’information sur les motifs de stimulation présents en une image d’activation d’un réseau de neurones dont la topologie est parfaitement définie. Ce sont ces images d’activations bulbaires, qui varient selon les molécules odorantes présentes dans la cavité nasale, qui sont le point de départ de divers processus cognitifs (perception, comparaison avec des informations mémorisées, estimation du plaisir ou déplaisir ressenti en fonction du contexte, tentative de trouver un descripteur verbal représentatif par exemple).

 

L’image d’activation bulbaire, mise en forme, est ensuite transmise au cortex piriforme et au cortex entorhinal, pour analyse plus fine. De là, elle se propage vers différentes régions cérébrales pour en analyser les différents aspects. Parmi ces régions citons l’hippocampe (processus de mémorisation et accès à l’information mémorisée, Figure 4), l’amygdale (qui analyse le contexte hédonique : telle odeur évoque plutôt un sentiment de plaisir ou de déplaisir) et bien d’autres régions pour l’intégration de toutes les informations (y compris celles venant d’autres système sensoriels). Le cortex orbitofrontal a un rôle essentiel dans ce dernier processus.

Avoir une carte d’activation bulbaire intégrale est donc indispensable pour percevoir correctement les odeurs (Figure 5). Si cette carte est absente, une anosmie apparaît. C’est le cas (1) si les molécules odorantes ne peuvent pas parvenir aux cellules détectrices, (2) si les cellules détectrices ne fonctionnent pas correctement, (3) si le bulbe olfactif est absent ou détruit, (4) si les structures cérébrales nécessaires pour analyser les différents aspects de l’information sont endommagées.

Si le bulbe est partiellement lésé, l’image bulbaire est incomplète et les perceptions sont déformées

(« ça ne sent plus comme avant... »).

 

 

 

Les causes principales d’anosmie

 

 

Avec ce schéma simple de fonctionnement en tête, voyons maintenant les raisons principales d’une défaillance de l’odorat.

 

1. Les molécules odorantes ne peuvent pas parvenir aux cellules détectrices

 

Contrairement aux autres animaux, les cellules détectrices sont confinées dans une région très étroite tout en haut des cavités nasales. Cette région se nomme : les fentes olfactives (voir FO, Figure 6). Dans

la partie basse, le tissu recouvrant les cornets (C, Figure 6) ne possède pas de cellules détectrices. Donc si les molécules odorantes ne peuvent pas parvenir aux fentes olfactives, il n’y a pas de perception.

 

1.1 Les fentes olfactives peuvent être obstruées

 

Dans le cas d’un rhume par exemple, les sécrétions nasales envahissent l’espace étroit par lequel l’air doit circuler (Air, Figure 6) et une anosmie transitoire apparaît. Fort heureusement celle-ci est réversible et en quelques jours tout redevient normal.

Par contre, certains patients souffrent d’une pathologie inflammatoire des fentes olfactives. Celle-ci est diagnostiquée par l’imagerie scanner des cavités nasales. Dans l’exemple présenté Figure 7, on observe que l’obstruction ne concerne que les fentes olfactives sur toute leur longueur, d’avant en arrière. Dans la partie basse des cavités, l’air peut circuler entre les cornets mais il n’y a pas de cellules détectrices à ce niveau. Cette pathologie obstructive d’origine encore inconnue résiste souvent aux traitements par corticoïdes. C’est donc une cause d’anosmie difficile à traiter pour le moment.

 

1.2 Les fentes olfactives sont libres mais un obstacle empêche l’air d’y arriver

 

Le cas le plus courant est la présence d’un polype à l’entrée de la fente olfactive (Figure 8). Cette pathologie peut être diagnostiquée grâce à l’observation des cavités nasales à l’aide d’une fibre optique (endoscope). Divers traitements et actes chirurgicaux existent pour traiter la polypose et ainsi restaurer la fonction olfactive.

Dans d’autres cas, c’est une modification de la structure interne des cavités nasales qui empêche l’air de parvenir correctement aux fentes olfactives (Figure 9). Souvent ceci résulte d’un choc sur la face.

2. Les cellules détectrices ne fonctionnent pas correctement

 

Une autre raison de l’anosmie est que l’air odorisé parvient bien dans les fentes olfactives, mais les cellules détectrices ne fonctionnent pas correctement. En contact direct avec le monde extérieur, les cellules détectrices sont très exposées à tout ce qui est véhiculé par l’air. C’est ainsi que de nombreux solvants (comme l’acétone) ou produits chimiques volatils peuvent avoir des effets négatifs sur les cellules détectrices, sans que l’on sache toujours très bien pourquoi.

 

De plus, les cellules détectrices peuvent être en contact avec de nombreux agents pathogènes, en particulier des virus. Pour faire face à cela, la nature a développé une stratégie de défense bien adaptée. Dans une de nos études, nous avons démontré que la région des fentes olfactives est particulièrement bien pourvue de substances protectrices, en particulier des antimicrobiens, des antioxydants, des anti- inflammatoires et des substances permettant de contrer les virus.

 

Pourtant, dans certains cas, ces mécanismes de protection semblent débordés. C’est le cas lorsque les fentes olfactives sont complètement obstruées (voir plus haut) mais aussi lorsque les patients souffrent d’une « grippe » et se retrouvent anosmiques après cela. C’est une pathologie très fréquente et qui représente même la majorité des consultations pour des troubles de l’odorat. Les symptômes sont semblables à ceux d’une grippe. Cependant, au lieu de se produire en hiver, elle apparaît plutôt dans la période mars-août avec un pic au mois de juin (Dr Eloit, ORL, Lariboisière). Des études sont en cours pour essayer de déterminer le ou les virus et essayer de trouver un traitement. On pense, sans encore en avoir la démonstration, qu’il y aurait une détérioration massive des cellules détectrices sous l’effet de l’attaque virale.

 

Ceci nous amène à une autre réflexion. Chez les animaux, il a été démontré que les cellules détectrices olfactives détériorées peuvent être remplacées par de nouvelles cellules. En effet il existe à la base du tissu olfactif une réserve de cellules souches qui peuvent produire de nouvelles cellules détectrices en

cas d’agression de l’épithélium. Chez l’homme, ces cellules sont présentes, mais on ne sait pas encore si ce mécanisme de sauvegarde est même de faire face à des situations graves.

3. Les bulbes olfactifs sont absents : l’anosmie congénitale

 

L’anosmie congénitale résulte d’un mauvais développement des structures cérébrales indispensables à un fonctionnement correct de l’odorat, et se caractérise sur des images d’IRM par l’absence des deux bulbes olfactifs (Figure 10 ) et des modifications de la structure cérébrale juste au-dessus.

Ce syndrome (dit de Kallmann) touche environ 1 homme sur 10 000 et une femme sur 50 000 est lié à un défaut génétique sur le chromosome X. Il s’accompagne d’un défaut de développement des organes sexuels à la puberté. Les patients souffrant de ce problème génétique n’ont jamais perçu les odeurs.

 

4. Les bulbes sont endommagés.

 

Il est malheureusement fréquent que les bulbes olfactifs soient endommagés à la suite d’un traumatisme crânien avec un impact à l’arrière de la tête (choc occipital). Dans ce cas le cerveau se déplace (Figure 11) et la partie basse du cerveau, au dessus des bulbes olfactifs, vient s’écraser sur les os de la base du crâne et la crista galli (petite structure osseuse en forme de crête de coq à proximité des bulbes olfactifs). Il en résulte des dommages au niveau des bulbes (destruction complète par exemple dans la Figure 12 à gauche) associés au niveau cérébral de lésions dans le gyrus rectus et le gyrus orbitaire médian. Souvent ces lésions sont bilatérales, et les patients sont anosmiques. Si les lésions sont d’un seul côté, le côté sain permet cependant de percevoir les odeurs.

Dans d’autre cas, les bulbes olfactifs sont encore visibles, mais apparaissent très déstructurés et d’aspect diffus (Fig. 13). Dans ce cas il est important d’estimer le degré de fonctionnalité restante.

Les méthodes disponibles

 

Pour le médecin, chaque patient doit donc être étudié avec précision, en envisageant les différentes possibilités et en établissant le diagnostic grâce à des méthodes adaptées. Les moyens techniques sont là. L’endoscopie permet, grâce à une fibre optique de visualiser l’intérieur de chaque cavité nasale et d’y rechercher la présence de polypes ou d’une inflammation obstructive des fentes olfactives, par exemple. Un scanner permet de bien visualiser toute la structure interne des cavités nasales et d’y détecter d’éventuelles anomalies. L’IRM (imagerie par résonnance magnétique) est indispensable pour examiner précisément l’aspect des bulbes olfactifs et du cerveau. C’est un outil précieux en particulier lors d’une anosmie consécutive à un traumatisme crânien.

 

Toutes ces méthodes de visualisation sont complétées par divers tests avec des molécules odorantes (tests olfactifs) permettant d’estimer la sensibilité olfactive du patient et de tester ses possibilités de reconnaître et de distinguer des odeurs.

 

Enfin, des mesures de l’activité cérébrale avec des électrodes à la surface du crâne (EEG) permettent de vérifier s’il y a bien transmission de l’information nerveuse entre les cellules détectrices dans le nez et le cerveau. Ces techniques d’enregistrement de potentiels évoqués olfactifs que nous développons actuellement sont, malheureusement, encore peu répandues en clinique ORL, en dehors de certains services très spécialisés. Elles fournissent cependant des informations intéressantes pour un bon diagnostic.

 

Une remarque : l’anosmie entraîne-t-elle l’agueusie ?

 

Olfaction ortho-nasale et olfaction rétro-nasale.

 

Les patients anosmiques se plaignent souvent d’avoir perdu l’odorat et le goût. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’odorat est mis en jeu lorsque nous inspirons l’air par les narines, mais qu’il est

aussi impliqué lorsque nous avons quelque chose en bouche. En effet dans ce cas les molécules odorantes remontent vers les cavités nasales (Figure 14) par deux grosses ouvertures à l’arrière, les choanes. Cette composante se nomme: stimulation rétro-nasale.

Ne plus avoir d’odorat implique que cette composante rétro-nasale disparaît et les aliments semblent avoir beaucoup perdu de leur intérêt sensoriel. Les patients pensent alors être agueusiques, ce qui n’est pas exact. En effet l’agueusie correspond à la perte des sensations ... gustatives ! C'est-à-dire un mauvais fonctionnement des cellules détectrices gustatives et des nerfs qui innervent la langue et la cavité buccale. Dans le cas d’une anosmie, seule la composante olfactive rétro-nasale est perdue, tout le reste fonctionne encore.

 

Dans le langage commun, le « goût » des aliments correspond à l’ensemble de toutes les sensations que nous avons lorsqu’un aliment est en bouche. Ces sensations sont d’origine très diverses. L’odorat, bien sûr, par la voie rétro-nasale. Les sensations gustatives, venant de l’activation des détecteurs de la langue et du palais. Enfin, les sensations trigéminales (chaleur, froid, piquant, titillant etc.) provenant de détecteurs dans la cavité buccale et les cavités nasales.

 

Le nerf trigéminal contribue d’une façon importante dans nos sensations. Par exemple la sensation de fraîcheur que nous avons lorsque nous sentons ou goûtons du menthol provient de l’activation du système trigéminal. De même pour le piquant du vinaigre (acide acétique) ou de la moutarde. On sait même que beaucoup d’anosmiques ne sont pas complètement insensibles à de nombreuses molécules odorantes lorsqu’ils les reniflent. Ils utilisent alors leur système trigéminal nasal pour les percevoir ! Cependant ce système sensoriel est beaucoup moins sensible que l’odorat si bien qu’il faut de fortes concentrations dans l’air pour qu’elles soient perçues.

 

Terminons donc par une note d’espoir.

Anosmiques, vous n’avez pas tout perdu !

 

L’absence d’un odorat fonctionnel n’abolit pas toutes les autres sensations gustatives et trigéminales en particulier. Encore faut-il prendre conscience de leurs richesses pour apprendre à percevoir autrement qu’avant la perte de l’odorat... Nos amis anosmiques congénitaux, qui n’ont jamais eu de sensations olfactives, pourraient nous en apprendre beaucoup à ce sujet.

 

  Didier Trotier

Les causes principales d'anosmie
Les méthodes disponibles
L'anosmie entraîne t-elle l'agueusie ?

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Le coin des connaissances :

Avec l'aimable participation du
 
Dr Didier TROTIER
Neurophysiologiste de l'Odorat

 

UMR 9197, CNRS, Gif-sur-Yvette

1 - Les raisons d’une anosmie

Les raisons d’une anosmie

 

 

La perte de l’odorat laisse les personnes concernées bien démunies. Aux problèmes de la vie de tous les jours s’ajoute souvent une difficulté à comprendre ce qui est arrivé. L’information fournie par le médecin n’est pas toujours comprise. Or une bonne compréhension nous paraît indispensable pour gérer plus efficacement le handicap.

 

L’idée de ce COIN DES CONNAISSANCES, dans le cadre du site de l’AFAA, est venue de ma rencontre avec Bernard Perroud. Chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) je travaille depuis une trentaine d’année sur des programmes visant à mieux comprendre la physiologie de l’odorat. En parallèle, j’aide le Docteur Corinne Eloit à développer des méthodes permettant de mieux établir les diagnostics des troubles de l’odorat dans le service ORL de l’Hôpital Lariboisière. A cette occasion j’ai donc côtoyé un grand nombre d’anosmiques, et j’ai pu prendre conscience non seulement de leur désarroi mais aussi de leur difficulté à bien comprendre les raisons du handicap. Les causes d’anosmie sont en effet nombreuses mais ont toutes pour origine un défaut de fonctionnement physiologique à l’un des niveaux de la chaîne sensorielle.

 

Le but de ce COIN DES CONNAISSANCES est donc de fournir des informations de base en suivant un fil logique assez simple et en montrant quelques exemples. Nous espérons notre propos assez clair pour des non spécialistes. Comprendre nécessite cependant de faire un petit effort...

 

Physiologie normale de l’odorat

 

Avant d’aborder les défauts de fonctionnement du système olfactif, voyons comment fonctionne un odorat normal. L’odorat est un sens subtil et sensible permettant de percevoir et de distinguer des milliers d’odeurs différentes.

 

Les molécules odorantes sont constituées d’atomes (carbone, hydrogène, oxygène et autres) se présentant comme des formes dans l’espace (Figure 1). De très petite taille (de l’ordre d’un millionième de millimètre), elles présentent toutes la particularité de s’échapper du substrat qui les contient pour se retrouver dans l’air et atteindre notre nez.

En pénétrant dans les cavités nasales les molécules odorantes atteignent un endroit où est localisé un épithélium contenant des cellules détectrices dont les cils baignent dans une petite couche de mucus (Figure 2).

 

En diffusant dans ce mucus, les molécules odorantes (pures ou en mélange) se fixent transitoirement sur des protéines réceptrices localisées sur ces cils. Chaque protéine réceptrice est capable de reconnaître un motif de stimulation particulier, qui peut être présent dans diverses molécules odorantes. Il existe, chez l’homme 350-400 protéines réceptrices différentes, c'est-à-dire autant de façon de « voir » les molécules odorantes.

 

Lorsque qu’une protéine réceptrice reconnaît son motif de stimulation personnel, la cellule détectrice émet des impulsions nerveuses. Ces impulsions se propagent dans l’axone de la cellule qui traverse l’os (la lame criblée) séparant la cavité nasale de la boîte crânienne et transmet le signal à une cellule mitrale dans le bulbe olfactif au niveau d’une zone de contact nommée glomérule (voir Figure 2). Toutes les cellules sœurs, qui possèdent la même protéine réceptrice, transmettent l’information au même glomérule. Un autre ensemble de cellules détectrices, possédant une autre protéine réceptrice pour détecter un autre motif de stimulation transmet l’information à un autre glomérule au niveau du bulbe olfactif. Et ainsi de suite pour tous les motifs de stimulation présents. Il se dessine donc au niveau du bulbe olfactif une image d’activation sur l’ensemble de toutes les cellules mitrales.

Une représentation schématique est montrée Figure 3. Chaque molécule odorante présente plusieurs motifs de stimulation et forme donc une image d’activation bulbaire particulière. Dans le cas d’un mélange de molécules odorantes, c’est l’ensemble de tous les motifs de stimulation présents qui forme l’image au niveau du bulbe.

Le bulbe olfactif est donc un organe capable de transformer l’information sur les motifs de stimulation présents en une image d’activation d’un réseau de neurones dont la topologie est parfaitement définie. Ce sont ces images d’activations bulbaires, qui varient selon les molécules odorantes présentes dans la cavité nasale, qui sont le point de départ de divers processus cognitifs (perception, comparaison avec des informations mémorisées, estimation du plaisir ou déplaisir ressenti en fonction du contexte, tentative de trouver un descripteur verbal représentatif par exemple).

 

L’image d’activation bulbaire, mise en forme, est ensuite transmise au cortex piriforme et au cortex entorhinal, pour analyse plus fine. De là, elle se propage vers différentes régions cérébrales pour en analyser les différents aspects. Parmi ces régions citons l’hippocampe (processus de mémorisation et accès à l’information mémorisée, Figure 4), l’amygdale (qui analyse le contexte hédonique : telle odeur évoque plutôt un sentiment de plaisir ou de déplaisir) et bien d’autres régions pour l’intégration de toutes les informations (y compris celles venant d’autres système sensoriels). Le cortex orbitofrontal a un rôle essentiel dans ce dernier processus.

Avoir une carte d’activation bulbaire intégrale est donc indispensable pour percevoir correctement les odeurs (Figure 5). Si cette carte est absente, une anosmie apparaît. C’est le cas (1) si les molécules odorantes ne peuvent pas parvenir aux cellules détectrices, (2) si les cellules détectrices ne fonctionnent pas correctement, (3) si le bulbe olfactif est absent ou détruit, (4) si les structures cérébrales nécessaires pour analyser les différents aspects de l’information sont endommagées.

Si le bulbe est partiellement lésé, l’image bulbaire est incomplète et les perceptions sont déformées

(« ça ne sent plus comme avant... »).

 

 

 

Les causes principales d’anosmie

 

 

Avec ce schéma simple de fonctionnement en tête, voyons maintenant les raisons principales d’une défaillance de l’odorat.

 

1. Les molécules odorantes ne peuvent pas parvenir aux cellules détectrices

 

Contrairement aux autres animaux, les cellules détectrices sont confinées dans une région très étroite tout en haut des cavités nasales. Cette région se nomme : les fentes olfactives (voir FO, Figure 6). Dans

la partie basse, le tissu recouvrant les cornets (C, Figure 6) ne possède pas de cellules détectrices. Donc si les molécules odorantes ne peuvent pas parvenir aux fentes olfactives, il n’y a pas de perception.

 

1.1 Les fentes olfactives peuvent être obstruées

 

Dans le cas d’un rhume par exemple, les sécrétions nasales envahissent l’espace étroit par lequel l’air doit circuler (Air, Figure 6) et une anosmie transitoire apparaît. Fort heureusement celle-ci est réversible et en quelques jours tout redevient normal.

Par contre, certains patients souffrent d’une pathologie inflammatoire des fentes olfactives. Celle-ci est diagnostiquée par l’imagerie scanner des cavités nasales. Dans l’exemple présenté Figure 7, on observe que l’obstruction ne concerne que les fentes olfactives sur toute leur longueur, d’avant en arrière. Dans la partie basse des cavités, l’air peut circuler entre les cornets mais il n’y a pas de cellules détectrices à ce niveau. Cette pathologie obstructive d’origine encore inconnue résiste souvent aux traitements par corticoïdes. C’est donc une cause d’anosmie difficile à traiter pour le moment.

 

1.2 Les fentes olfactives sont libres mais un obstacle empêche l’air d’y arriver

 

Le cas le plus courant est la présence d’un polype à l’entrée de la fente olfactive (Figure 8). Cette pathologie peut être diagnostiquée grâce à l’observation des cavités nasales à l’aide d’une fibre optique (endoscope). Divers traitements et actes chirurgicaux existent pour traiter la polypose et ainsi restaurer la fonction olfactive.

Dans d’autres cas, c’est une modification de la structure interne des cavités nasales qui empêche l’air de parvenir correctement aux fentes olfactives (Figure 9). Souvent ceci résulte d’un choc sur la face.

2. Les cellules détectrices ne fonctionnent pas correctement

 

Une autre raison de l’anosmie est que l’air odorisé parvient bien dans les fentes olfactives, mais les cellules détectrices ne fonctionnent pas correctement. En contact direct avec le monde extérieur, les cellules détectrices sont très exposées à tout ce qui est véhiculé par l’air. C’est ainsi que de nombreux solvants (comme l’acétone) ou produits chimiques volatils peuvent avoir des effets négatifs sur les cellules détectrices, sans que l’on sache toujours très bien pourquoi.

 

De plus, les cellules détectrices peuvent être en contact avec de nombreux agents pathogènes, en particulier des virus. Pour faire face à cela, la nature a développé une stratégie de défense bien adaptée. Dans une de nos études, nous avons démontré que la région des fentes olfactives est particulièrement bien pourvue de substances protectrices, en particulier des antimicrobiens, des antioxydants, des anti- inflammatoires et des substances permettant de contrer les virus.

 

Pourtant, dans certains cas, ces mécanismes de protection semblent débordés. C’est le cas lorsque les fentes olfactives sont complètement obstruées (voir plus haut) mais aussi lorsque les patients souffrent d’une « grippe » et se retrouvent anosmiques après cela. C’est une pathologie très fréquente et qui représente même la majorité des consultations pour des troubles de l’odorat. Les symptômes sont semblables à ceux d’une grippe. Cependant, au lieu de se produire en hiver, elle apparaît plutôt dans la période mars-août avec un pic au mois de juin (Dr Eloit, ORL, Lariboisière). Des études sont en cours pour essayer de déterminer le ou les virus et essayer de trouver un traitement. On pense, sans encore en avoir la démonstration, qu’il y aurait une détérioration massive des cellules détectrices sous l’effet de l’attaque virale.

 

Ceci nous amène à une autre réflexion. Chez les animaux, il a été démontré que les cellules détectrices olfactives détériorées peuvent être remplacées par de nouvelles cellules. En effet il existe à la base du tissu olfactif une réserve de cellules souches qui peuvent produire de nouvelles cellules détectrices en

cas d’agression de l’épithélium. Chez l’homme, ces cellules sont présentes, mais on ne sait pas encore si ce mécanisme de sauvegarde est même de faire face à des situations graves.

3. Les bulbes olfactifs sont absents : l’anosmie congénitale

 

L’anosmie congénitale résulte d’un mauvais développement des structures cérébrales indispensables à un fonctionnement correct de l’odorat, et se caractérise sur des images d’IRM par l’absence des deux bulbes olfactifs (Figure 10 ) et des modifications de la structure cérébrale juste au-dessus.

Ce syndrome (dit de Kallmann) touche environ 1 homme sur 10 000 et une femme sur 50 000 est lié à un défaut génétique sur le chromosome X. Il s’accompagne d’un défaut de développement des organes sexuels à la puberté. Les patients souffrant de ce problème génétique n’ont jamais perçu les odeurs.

 

4. Les bulbes sont endommagés.

 

Il est malheureusement fréquent que les bulbes olfactifs soient endommagés à la suite d’un traumatisme crânien avec un impact à l’arrière de la tête (choc occipital). Dans ce cas le cerveau se déplace (Figure 11) et la partie basse du cerveau, au dessus des bulbes olfactifs, vient s’écraser sur les os de la base du crâne et la crista galli (petite structure osseuse en forme de crête de coq à proximité des bulbes olfactifs). Il en résulte des dommages au niveau des bulbes (destruction complète par exemple dans la Figure 12 à gauche) associés au niveau cérébral de lésions dans le gyrus rectus et le gyrus orbitaire médian. Souvent ces lésions sont bilatérales, et les patients sont anosmiques. Si les lésions sont d’un seul côté, le côté sain permet cependant de percevoir les odeurs.

Dans d’autre cas, les bulbes olfactifs sont encore visibles, mais apparaissent très déstructurés et d’aspect diffus (Fig. 13). Dans ce cas il est important d’estimer le degré de fonctionnalité restante.

Les méthodes disponibles

 

Pour le médecin, chaque patient doit donc être étudié avec précision, en envisageant les différentes possibilités et en établissant le diagnostic grâce à des méthodes adaptées. Les moyens techniques sont là. L’endoscopie permet, grâce à une fibre optique de visualiser l’intérieur de chaque cavité nasale et d’y rechercher la présence de polypes ou d’une inflammation obstructive des fentes olfactives, par exemple. Un scanner permet de bien visualiser toute la structure interne des cavités nasales et d’y détecter d’éventuelles anomalies. L’IRM (imagerie par résonnance magnétique) est indispensable pour examiner précisément l’aspect des bulbes olfactifs et du cerveau. C’est un outil précieux en particulier lors d’une anosmie consécutive à un traumatisme crânien.

 

Toutes ces méthodes de visualisation sont complétées par divers tests avec des molécules odorantes (tests olfactifs) permettant d’estimer la sensibilité olfactive du patient et de tester ses possibilités de reconnaître et de distinguer des odeurs.

 

Enfin, des mesures de l’activité cérébrale avec des électrodes à la surface du crâne (EEG) permettent de vérifier s’il y a bien transmission de l’information nerveuse entre les cellules détectrices dans le nez et le cerveau. Ces techniques d’enregistrement de potentiels évoqués olfactifs que nous développons actuellement sont, malheureusement, encore peu répandues en clinique ORL, en dehors de certains services très spécialisés. Elles fournissent cependant des informations intéressantes pour un bon diagnostic.

 

Une remarque : l’anosmie entraîne-t-elle l’agueusie ?

 

Olfaction ortho-nasale et olfaction rétro-nasale.

 

Les patients anosmiques se plaignent souvent d’avoir perdu l’odorat et le goût. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’odorat est mis en jeu lorsque nous inspirons l’air par les narines, mais qu’il est

aussi impliqué lorsque nous avons quelque chose en bouche. En effet dans ce cas les molécules odorantes remontent vers les cavités nasales (Figure 14) par deux grosses ouvertures à l’arrière, les choanes. Cette composante se nomme: stimulation rétro-nasale.

Ne plus avoir d’odorat implique que cette composante rétro-nasale disparaît et les aliments semblent avoir beaucoup perdu de leur intérêt sensoriel. Les patients pensent alors être agueusiques, ce qui n’est pas exact. En effet l’agueusie correspond à la perte des sensations ... gustatives ! C'est-à-dire un mauvais fonctionnement des cellules détectrices gustatives et des nerfs qui innervent la langue et la cavité buccale. Dans le cas d’une anosmie, seule la composante olfactive rétro-nasale est perdue, tout le reste fonctionne encore.

 

Dans le langage commun, le « goût » des aliments correspond à l’ensemble de toutes les sensations que nous avons lorsqu’un aliment est en bouche. Ces sensations sont d’origine très diverses. L’odorat, bien sûr, par la voie rétro-nasale. Les sensations gustatives, venant de l’activation des détecteurs de la langue et du palais. Enfin, les sensations trigéminales (chaleur, froid, piquant, titillant etc.) provenant de détecteurs dans la cavité buccale et les cavités nasales.

 

Le nerf trigéminal contribue d’une façon importante dans nos sensations. Par exemple la sensation de fraîcheur que nous avons lorsque nous sentons ou goûtons du menthol provient de l’activation du système trigéminal. De même pour le piquant du vinaigre (acide acétique) ou de la moutarde. On sait même que beaucoup d’anosmiques ne sont pas complètement insensibles à de nombreuses molécules odorantes lorsqu’ils les reniflent. Ils utilisent alors leur système trigéminal nasal pour les percevoir ! Cependant ce système sensoriel est beaucoup moins sensible que l’odorat si bien qu’il faut de fortes concentrations dans l’air pour qu’elles soient perçues.

 

Terminons donc par une note d’espoir.

Anosmiques, vous n’avez pas tout perdu !

 

L’absence d’un odorat fonctionnel n’abolit pas toutes les autres sensations gustatives et trigéminales en particulier. Encore faut-il prendre conscience de leurs richesses pour apprendre à percevoir autrement qu’avant la perte de l’odorat... Nos amis anosmiques congénitaux, qui n’ont jamais eu de sensations olfactives, pourraient nous en apprendre beaucoup à ce sujet.

 

  Didier Trotier

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Physiologie de l'odorat
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